Les chrétiens responsables de l’incendie de Rome ?

L’incendie est parti du Grand cirque, près du mont Palatin. Le feu gagna les jardins des collines voisines, envahissant le quartier mal famé de Suburre. Les nuages rougeoyaient à mesure que déclinait la lumière du jour. Rome était menacée d’une destruction totale. Nous étions le 13 juillet de l’an 64.

La quatrième nuit, sur l’invitation de son conseiller Tigellin, Néron écrivit un poème sur l’incendie : « Chants immortels… ». Le brasier dura 7 nuits et 6 jours. Tout ressemblait à un cimetière de murs calcinés.

Tandis qu’on commençait à suspecter l’empereur d’avoir causé ce désastre inouï, Tacite, lui, accusait les chrétiens, « ces gens mal famés » auteurs d’ « une détestable superstition » (1), d’avoir fichu le feu à Rome ; Tigellin suggéra à Néron de trouver des responsables, seule façon de calmer le peuple. Aussitôt, dans un même élan, sénateurs, sacerdotes, philosophes, Romains et étrangers, incriminèrent les chrétiens.

Néron convoqua son conseil, reprocha à l’empereur Claude d’avoir permis à Pierre et à Paul de prêcher leur Seigneur. Tigellin mit l’accent sur la dangerosité de ces chrétiens. Poppée, l’épouse de Néron, se rangea derrière Tigellin. Sénèque jugea dangereuse cette religion : « Ces chrétiens répandent d’étranges théories sociales. Ils déclarent que les esclaves et les maîtres sont égaux (…) Que deviendrions-nous s’il n’y avait plus d’esclaves ? Cet évangile chrétien va trop loin. » Néron acquiesça l’idée d’accuser les chrétiens. Au sein du peuple ils étaient franchement détestés. Leur châtiment serait salutaire pour éloigner les cultes étrangers, car en dépit des persécutions, le christianisme attirait les gens, séduits par une morale qui n’exigeait pas de gymnastique philosophique. « Que fait-on de ces chrétiens ? » demanda Néron. Dans les tavernes on imaginait le châtiment qu’on leur ferait subir.

Le procès s’ouvrit à la fin de l’été 64. Défilèrent devant un tribunal ces gueux venus d’Orient, au cheveu sombre, au regard charbonneux. On leur reprochait d’avoir refusé de participer aux secours. On consulta les directeurs de théâtres sur la forme de supplice à leur faire endurer. Finalement, on décida d’organiser une énorme fête nocturne dans les jardins du Vatican. On arrêta les chrétiens, on les jeta dans les cachots du cirque en attendant le grand soir. Qui arriva.

On attacha 3000 prisonniers dont on avait imbibé les vêtements de goudron et d’huile, à des poteaux plantés le long des allées des jardins. Puis on mit le feu aux statues affolées. Les allées bordées de torches vives illuminaient les jardins de flambeaux animés, revêtus d’une tunique imbibée de poix et de résine : « On sait bien que ces gens-là ne valent pas cher » disait Tacite (2).

Néron, en Apollon, apparut alors sur un char d’ivoire, trainé par 12 bacchantes. Les serviteurs du palais apportèrent des vins succulents. Un souper somptueux attendait le peuple de Rome.

Néron annonça au Sénat sa décision de reconstruire sans délai la Cité. Sept mois plus tard, devant son nouveau palais, Domus aurea, la Maison d’Or, le Sénat fit élever une statue en or massif, de 36 mètres de haut, « comme celle des dieux », dont le déplacement près du temple de Vénus au IIe siècle, par ordre de l’empereur Hadrien, exigera 24 éléphants. Le peuple de Rome se donna rendez-vous autour de ce « Colosse », de sorte que le cirque hérite du nom de Colosseum, ou Colisée.

Gérard Leroy

  1. Tacite, Annales, XV, 44.
  2. Tacite, id.