"Il est venu le temps des cathédrales...."
"Notre-Dame de Paris" s'affichait en panneaux publicitaires. Pour nous séduire. Pour nous faire chanter.
"Notre-Dame de Paris", ce matin, nous fait pleurer. Et son nom s'affiche à la une de tous les journaux, mondialement, mais c'est pour etre le titre d'un scénario que personne n'avait imaginé : "Notre drame de Paris".
"Un morceau de notre histoire s'est envolé en fumée", "le hit parade des monuments avec ses 12 millions de visiteurs, 50.000 par jour", "le chef d'oeuvre absolu du gothique ",.... Les qualificatifs ne justifient pas l'émotion qui a saisi Paris, la France, le monde la nuit dernière et ce matin.
Il y a quelque chose de plus que le drame de la perte d'un monument emblématique - nous n'aurions pas ressenti la même émotion en apprenant l'incendie du Chateau de Versailles ou l'effondrement de la Tour Eifel...-
, quelque-chose d' indéfinissable qui nous étreint. Comme si c'était un morceau de nous-même qui subissait cette violence. Comme si c'était une part de notre âme qui était blessée.
Parce que Notre-Dame est plus que Notre-Dame. Parce qu'elle est de l'ordre du symbole.
Huit cents ans s'y concentrent - Saint Louis, Jeanne d'Arc, la Reine Margot, Napoléon, Victor Hugo, Claudel, de Gaule, et tant d'autres y ont lié leur nom -, deux siècles pour l'édifier, certes ; mais ces pierres vénérables sont plus que des pierres. Le drame de Notre-Dame nous touche si profondément parce qu'elles matérialisent, à la fois majestueusement - un chef d'oeuvre - et humblement - elles ne peuvent que faire pressentir ce qu'elles incarnent -, une certaine image de l'homme, du monde et symbolisent la part de nous-memes qui est plus que nous-mêmes et que nous ne finissons pas de chercher.
C'est la grâce - la beauté mais aussi le don - du patrimoine religieux : il est admirable et admiré à juste titre, respectable et donc à respecter, parce qu'il "respire" et "transpire".
Il "respire" ce qui a motivé son existence : il a une âme. Les pierres de Notre-Dame sont plus que des pierres parce qu'elles portent l'empreinte de ce qui a mobilisé commanditaires et artisans : elles sont une construction de la foi. Elles sont un message.
Il "transpire" ce message qui, par lui, a traversé les siècles. Ce n'est plus seulement un monument à regarder, c'est un appel à accueillir. Le patrimoine religieux ne peut se comprendre dans une approche voyeuriste, il ne peut se livrer qu'en nous questionnant et en nous provoquant ; la perfection de sa beauté c'est l'appel qu'il lance : le contemplant il nous renvoie à l'image de nous-mêmes.
"Il est venu le temps des cathédrales"....Ce matin Garou nous fait pleurer...Parce que Notre-Dame saccagée par un mauvais génie, c'est une image provoquante de nous-mêmes qui est déchirée.
"Il est venu le temps des cathédrales!".... Abattus un moment, nous nous redresserons. Il serait inimaginable que Notre-Dame ne redevienne pas Notre-Dame : nous devons à l'Histoire de nous inscrire dans la lignée des batisseurs qui ont fait Notre-Dame, l'ont construite et l'ont soignée avec amour durant 800 ans. Et la vieille dame ridée, aujourd'hui échappée miraculeusement au désastre total, demain retrouvera, plus belle encore, sa splendeur. Non seulement parce que son image sera restaurée, mais surtout parce dans son drame quasi mortel elle nous aura bouleversé et confronté à son vrai mystère, le symbole qu'elle est et qui fait qu'elle est "Notre-Dame".
"Il est venu le temps des cathédrales!"... Nous sommes fiers de nous inscrire depuis des années dans cette approche du patrimoine religieux et de valoriser son originalité qui constitue sa valeur ultime. Au-delà d'un discours documentaliste ou esthétique nous nous essayons, par la féérie et l'émotion, d'entrouvrir les portes de sa signification profonde, son symbolisme et son message. Pour qu'il puisse être ce qu'il est.
La sidération mondiale qui a accompagné l'annonce du drame de la vieille dame des bords de Seine nous conforte dans nos objectifs : même défigurée Notre-Dame restera toujours Notre-Dame car, nous le croyons de toutes nos forces, toujours "la pierre se fit lumière!"
Michel Teheux